Procès des attentats à Bruxelles: de combattant en Syrie à artificier du 22 mars, le parcours du kamikaze Najim Laachraoui est exposé


Durant toute la matinée, un enquêteur de la section antiterroriste de la police judiciaire fédérale (DR3), assisté des juges d’instruction chargés de l’enquête sur les attentats de Bruxelles, s’est attaché à décrire qui était Najim Laachraoui, comment il s’était radicalisé, son départ en Syrie, son rôle dans ce pays en guerre depuis 2011 et en Belgique, au sein de la cellule terroriste qui tua 32 personnes et fit des centaines de blessés à Brussels Airport et dans la station de métro Maelbeek.
Pour démêler les fils de cette toile, l’enquête a dû s’opérer à rebours, en partant des images issues des caméras de surveillance de l’aéroport. Celles-ci permettent aux enquêteurs de faire le lien entre l’individu qui pousse un chariot à Zaventem, un certain Soufiane Kayal (recherché dans le dossier des attentats de Paris) et l’avis de recherche publié la veille par la police fédérale, où Najim Laachraoui est identifié formellement.
Né le 18 mai 1991 à Ajdir, au Maroc, le jeune homme obtient la nationalité belge le 6 août 2001. Il est scolarisé dans une école communale de Schaerbeek, puis dans l’enseignement catholique en secondaire. Dans le supérieur, il tente une première année d’ingénieur à l’Université libre de Bruxelles (ULB) mais échoue. Il en sera de même pour son année en électro-mécanique à l’Institut Cardinal Mercier. Il travaillera comme étudiant à la commune de Forest et à l’aéroport, notamment.
Radicalisation
C’est à l’âge de 18 ans que son père remarque un changement dans son attitude. Le jeune homme commence à se rendre à la mosquée et prend des cours privés avec un prêcheur connu pour son radicalisme. Deux ans plus tard, les contacts entre le père et son fils deviennent plus tendus. Le père note son fils plus agressif et moins tolérant à la mixité.
À partir de 2012, le futur terroriste prend part à plusieurs manifestations qui réunit des membres de l’organisation djihadiste belge Sharia4Belgium. Il est d’ailleurs arrêté administrativement durant l’une d’elles. Toutefois, son arrestation n’étant pas judiciaire, Najim Laachraoui est resté longtemps inconnu de la justice. Ses empreintes et son ADN ne sont en effet jamais relevés de son vivant sous sa véritable identité.
Le 29 janvier 2013 marque sa première tentative de rejoindre la Syrie, engluée depuis près de deux ans dans une guerre civile après la répression de manifestations pro-démocratie. Au fil des années, le conflit s’est complexifié, impliquant factions rebelles, groupes djihadistes et puissances étrangères. Najim Laachraoui renoncera toutefois - temporairement - au départ, dissuadé par son père.
Le 17 février 2013, il s’envole pour de bon, rejoignant d’abord Antalya depuis la capitale belge. En Syrie, après un entraînement d’un mois et demi, selon l’accusé Osama Krayem, il rejoint le groupe Majlis Shura Mujahidin, constitué de nombreux combattant étrangers, notamment néerlandophones et francophones, et spécialisé dans les prises d’otages. L’organisation est totalement absorbée par l’État islamique (EI) en 2014. En Syrie, Najim Laachraoui combat aux côtés de l’accusé Bilal El Makhoukhi et rejoint la brigade Liwa as Saddiq, considérée comme les «forces spéciales» de l’EI et qui sera chargée de mener des actions sur le sol européen.
Sous une fausse identité
La date exacte de son retour en Belgique reste floue. Le futur kamikaze est contrôlé une première fois en Serbie, fin août 2015, sous la fausse identité de «Taqmaq Mhdfawzi». Ses empreintes y sont relevées sous cette identité. Il est contrôlé une seconde fois en Autriche, alors qu’il se trouve en voiture avec Mohamed Belkaïd et l’accusé Salah Abdeslam, venu les récupérer à Budapest en Hongrie.
De retour en Belgique, la maison qu’il loue à Auvelais (Sambreville, en province de Namur) sera le point de départ des terroristes de Paris. À Bruxelles, il fréquentera différentes planques de la cellule, à Jette, Forest, Schaerbeek. Au sein de la cellule terroriste belge, il a joué quatre rôles, selon les enquêteurs : logisticien, artificier, organisateur et, finalement, kamikaze.
En tant que logisticien, l’homme a contribué à l’achat du matériel électronique (boutons-poussoirs, connecteurs de batterie, etc.) nécessaire à la confection des bombes utilisées à l’aéroport et dans le métro bruxellois. Il aurait également mis en relation deux autres membres du groupe Bilal El Makhoukhi et Hervé Bayingana Muhirwa. Ce que nie ce dernier.
Najim Laachraoui est également vu comme l’artificier du groupe. Selon les enquêteurs, c’est lui qui fabrique le TATP, l’explosif utilisé pour les bombes.
Sur l’organisation, les accusés Osama Krayem et Mohamed Abrini décrivent, durant leurs auditions, des contacts privilégiés avec le commanditaire des attentats. «Ce n’était pas un soldat comme les autres, il était plus élevé», a notamment déclaré Osama Krayem. C’est lui aussi qui réserve le taxi qui l’emmènera, avec l’autre kamikaze Ibrahim El Bakraoui et l’accusé Mohamed Abrini jusqu’à l’aéroport de Zaventem le matin du 22 mars 2016.
Le kamikaze à Zaventem
Enfin, le dernier rôle joué par Najim Laachraoui est celui de kamikaze. À 07h58, il déclenche sa charge explosive dans le hall des départs du nouveau bâtiment de l’aéroport, quelques secondes après Ibrahim El Bakraoui. La double explosion a tué 16 personnes et fait de nombreux blessés.
Le décès de Najim Laachraoui n’est cependant officialisé que le 10 juin 2016, lorsqu’il est formellement identifié comme étant le second kamikaze de Zaventem. Faute d’empreintes ou d’ADN disponibles avant les attentats, les enquêteurs ont en effet dû procéder à des comparaisons. Ils ont ainsi prélevé l’ADN des parents de Najim Laachraoui pour établir la filiation et confronté les dossiers dentaires ante et post-mortem du terroriste.
Pour l’islamologue Mohamed Fahmi, Najim Laachraoui avait le profil idéal pour diriger la cellule belge, s’il y avait bien un chef en Belgique. Vétéran du djihad en Syrie, c’est aussi lui qui est resté le plus longtemps au «Sham» (en Syrie). Il connaît bien la Belgique et entretient des contacts privilégiés avec l’émir Abou Ahmed, qui dirige la cellule depuis la Syrie d’après l’enquête.
Najim Laachraoui était connu sous deux «kounias» (surnoms de guerre qui permettent de protéger l’identité du djihadiste): «Abou Idriss» et «Abou Ikrima(h)». Il arborera également plusieurs fausses identités, sous les pseudonymes de Soufiane Kayal, David Olive Serra et Taqmaq Mhdfawzi.
Sur les neuf accusés présents devant la cour d’assises, les accusés Osama Krayem, Salah Abdeslam et Mohamed Abrini ont exprimé leur désir de retourner au cellulaire, comme à leur habitude. La séance s’est poursuivie en présence des accusés Smail, Hervé Bayingana Muhirwa, Bilal El Makhoukhi, Ali El Haddad Asufi et Sofien Ayari. Ibrahim Farisi, lui, y a assisté en dilettante. Pour rappel, le dixième homme, Oussama Atar, est présumé mort en Syrie et fait donc défaut.