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Willem Wallyn, le créateur de «1985», s’explique: «Je n’ai pas la prétention de faire un documentaire»

Succès d’audience, la fiction basée sur les tueries du Brabant wallon nous réserve son grand final ce dimanche sur la RTBF. Son créateur, Willem Wallyn, nous éclaire sur ses intentions.

Il en faut du courage pour s’emparer de la plus grande énigme policière de notre pays et en faire un objet de fiction. L’affaire des « Tueries du Brabant » a fait dans les années 1980 28 morts et reste à ce jour LE cold case de notre pays. Malgré les multiples pistes explorées, aucun coupable n’a été identifié. Près de quarante ans après les faits, une cellule d’enquête travaille toujours sur le dossier, avec la pression du compte à rebours. Car 2025 en signera la prescription.

Régulièrement, cette période trouble refait surface dans l’actualité. Ponctuellement, un nouvel élément vient relancer l’espoir de faire la lumière sur l’identité et les motivations des auteurs des faits. L’ironie du sort s’en est même mêlée puisque « 1985 » était à peine lancée sur la RTBF que l’un des suspects, l’ex-gendarme Robert Beijer, était arrêté en Thaïlande. Et les médias de revenir sur son lien avec « la bande de Nivelles », comme on la surnomme dans le nord du pays.

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« C’est notre Vietnam », définit Willem Wallyn, le scénariste de « 1985 ». Il est bien placé pour en parler. En tant qu’avocat stagiaire, il a participé à la préparation de la première commission parlementaire sur les Tueurs du Brabant. C’est en cette qualité que le producteur l’a contacté. « Peter Bouckaert m’a donné carte blanche quant à l’approche et aux angles de vue du scénario, pour autant que je saisisse l’esprit du temps de manière à ce qu’un public plus jeune, ou peut-être un public totalement étranger aux événements en Belgique, puisse comprendre ce qui s’est exactement passé à l’époque », explique Willem Wallyn. « Avec ‘1985’, notre ambition était d’écrire de l’histoire (télévisée), au sens littéral et figuré du terme. Une série qui dépeint de manière réaliste l’une des périodes les plus troublées de l’histoire récente de la Belgique : les années 1980. Et en même temps, la série donne une idée de la tension et de la violence de cette période dans toute l’Europe », complète Peter Bouckaert.

Tous les deux se défendent de vouloir résoudre le dossier par le biais de la télévision. Un avis mentionnant qu’il s’agit d’une fiction se basant sur des faits réels précède d’ailleurs chaque épisode. Effectivement, l’intrigue suit trois jeunes dans leur trajectoire d’engagement et de découverte de la vie professionnelle, Francky, Marc et Vicky. Leur destin s’entremêle à la toile de fond de la paranoïa ambiante créée par les braquages meurtriers des supermarchés Delhaize. « Il est apparu que nous pouvions mieux saisir l’esprit du temps en le présentant à travers les yeux de personnages qui entraient dans l’âge adulte à cette époque turbulente. Les jeunes personnages, Marc, Franky et Vicky – deux gendarmes débutants et une étudiante progressiste de l’Université Libre de Bruxelles – étaient les protagonistes parfaits pour que le public découvre le déroulement dramatique des événements. Les jeunes sont en quelque sorte leurs ambassadeurs naïfs : ils sont tout aussi ignorants, tout aussi curieux. L’histoire de leur passage à l’âge adulte sur un fond d’événements historiques crée également un sentiment immédiat de reconnaissance », insiste Willem Wallyn.

Ces jeunes acteurs sont époustouflants de talent. Et cela se marque davantage dans le bouquet final des deux derniers épisodes que l’on vous recommande de ne pas manquer ce soir. C’est dans ce dénouement aussi que le public découvrira la thèse des auteurs sur les circonstances qui ont mené à ces années troubles. Car on ne peut s’empêcher de chercher le vrai du faux de cette fiction. Quelles vérités historiques contient « 1985 » ? Nous avons posé ces questions à Willem Wallyn.

Dès le premier épisode, on se dit que la gendarmerie, passez-moi l’expression, était « un panier de crabes ». Ceci correspond-il à la réalité ?

Je ne comprends pas qu’on dise que 1985 montre une image pourrie de cette institution. J’ai dit à plusieurs reprises que c’était une institution formidable. Les héros de la série (Vernaillen, Marc, Goffinard) sont des bons gendarmes qui se battent contre des individus et des gens d’extrême droite qui manigancent. Je n’ai rien contre la gendarmerie, je ne la vise pas, mais elle avait des moutons noirs et c’est sur ceux-là que je focalise pour montrer le danger pour la démocratie. Je dis qu’à cause de quelques pommes pourries, cela a été difficile d’attraper les tueurs et cela a permis des délits, comme le vol d’armes.

Pourquoi avoir axé sur le major Vernaillen ?

Parce que c’était la première victime des tueurs du Brabant. J’avais besoin d’insérer le point de vue d’une victime qui n’a jamais été reconnue, dédommagée pour ce qui lui est arrivé. Il n’a pas eu un rôle marginal. Il a été attaqué, il allait devenir général, ce n’était pas n’importe qui. L’affaire François a fait grand bruit. Vernaillen, seul, a mis au jour un trafic de drogue. Cela a été le déclenchement des Tueries du Brabant. On l’a déplacé, on l’a insulté mais il a continué à se battre. C’est un personnage dramatiquement intéressant. Par pudeur, je ne me suis refusé à parler des victimes qui sont mortes tant j’ai un immense respect pour elles.

Pour vous, Madani Bouhouche est coupable ?

Attention, je reprécise : la série ne s’appelle pas les Tueurs du Brabant. Je n’ai jamais dit que Madani Bouhouche était impliqué dans les tueries mais son nom est cité dans ces affaires. Quand on voit l’épisode sur les attaques, on le voit regarder cela à la télévision. Je dis juste qu’il a été près des faits, Il n’est pas innocent, il a été condamné pour meurtres, recel des armes volées. Il a été inculpé pour le meurtre de son ami Juan Mendez. J’ai fait ajouter dans le générique de fin le fait que Robert Beijer a affirmé dans son livre que lui et Bouhouche ont tué Monsieur Zwarts pour un vol de plus de 90 millions.

Par le biais du personnage du procureur Deprêtre, vous semblez sous-entendre que la magistrature a quelque chose à se reprocher…

Quant au procureur Deprêtre, il faut lire une lettre de son substitut qui a été reprise dans la commission parlementaire et est disponible sur Internet car publié dans le Moniteur. Il a caché un rapport balistique qu’il a dû sortir ! Il s’en sort très bien dans la série.

Des noms de personnes ayant existé sont mentionnés et pas d’autres, pourquoi ?

Certains personnages sont basés sur des personnes réelles, après vérification avec nos juristes, et les autres sont des combinaisons de plusieurs personnages. Je n’ai pas la prétention de faire un documentaire ou de faire justice. Le but est de montrer le début des années 1980 d’un pays qui perd son innocence, de raconter une époque. Et surtout montrer le danger des pensées quand elles deviennent des paroles et puis des actes. J’ai reçu à ce jour 5000 réactions et les messages sont bienveillants. Les gens me disent qu’ils reconnaissent l’époque. Mon but n’est pas de blesser ou de choquer des gens. Je n’utilise pas les Tueries du Brabant pour faire de l’entertainment. C’est pour cela qu’il y a peu de violences dans cette série. J’ai axé sur ce qui se passe autour de la violence.

Quelle est votre thèse véhiculée alors sur cette affaire des Tueries ?

Thèse, thèse, ce n’est pas une thèse, plein de gendarmes pensent que cela s’est passé comme cela. Regardez : on retrouvait toujours les mêmes voitures et les mêmes armes mais il y avait d’autres membres et d’autres motifs (parfois purement l’argent, parfois pure criminalité, parfois une affaire personnelle), de sorte qu’on ne pouvait pas retrouver les vrais coupables. Mais quel était le but ? Créer une atmosphère de peur comme en Italie, en France, en Europe, c’était la stratégie de la tension. Informez-vous sur le réseau stay-behind, une petite copie de l’organisation logistique Gladio inventée par les Américains contre les Soviétiques. Les attentats se sont arrêtés après Alost, jamais un criminel n’a été pris, et la gendarmerie a été renforcée avec des Golf, des riot guns, gilets par balle, des Porsche. Et pour cela, il y avait un peu de tout qui se croisait. C’est ce qu’on appelle en anglais : a perfect storm. Pour cela, il y avait besoin de deux trois cerveaux pour organiser la logistique, des gens qui connaissaient bien la gendarmerie, je vous laisse en tirer les conclusions.

« 1985 », dimanche 12 février, 20 h 50, la Une

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