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«Nous étions leurs esclaves»

Annick Brisville, 83 ans, originaire du Crotoy, a passé cinq ans dans une maison de correction de la congrégation du Bon Pasteur, à Amiens. Aujourd’hui, elle dénonce de graves maltraitances.

Reportage de

Gautier Lecardonnel

«  J’avais mis ça dans un coin de ma tête. Je n’en avais jamais parlé, je n’avais jamais raconté ça. Mon propre mari ne le savait pas. Je l’ai averti que je n’étais pas une criminelle, mais que je suis allée au Bon Pasteur. Ça devait être une maison d’éducation pour jeunes filles, mais c’était un vrai bagne.  »

Le passé d’Annick Brisville, 83 ans, a refait surface quand, sur les réseaux sociaux, elle a vu qu’une association cherchait à recueillir les témoignages des personnes passées par les maisons de correction tenues par les religieuses de la congrégation du Bon Pasteur.

« Le juge m’avait dit que c’était pour quelques mois, ça a duré cinq ans ! »

Annick ne peut retenir ses larmes lorsqu’elle raconte ses cinq années passées « chez les bonnes sœurs ». Elle y a été placée le 14 juin 1955 sur décision de justice.

Annick a vécu son enfance au Crotoy, avant qu’un juge ne la place.
Annick a vécu son enfance au Crotoy, avant qu’un juge ne la place.

Elle avait 15 ans quand au Crotoy, où elle vivait au sein d’une famille très modeste, elle a volé un colis dans un wagon à la gare. « J’avais faim ». L’adolescente avait lu sur le petit carton le nom du boucher, mais… il ne contenait que des tabliers.

« Les gendarmes sont venus me chercher le lendemain. C’est le seul vol que j’ai commis, mais un juge a décidé de ce placement provisoire. Il m’avait dit que c’était pour quelques mois, ça a duré cinq ans ! » Pour Annick, ces années n’ont été que « souffrance et maltraitances ».

Le Bon Pasteur était situé rue Pointin à Amiens. Annick n’y est jamais revenue, trop de mauvais souvenirs.

Un quotidien de labeur

La Picarde raconte comment « entre 500 et 600 filles » y vivaient, avec un quotidien de labeur. Il fallait y travailler dans des ateliers de couture, broderie ou à la buanderie, pour des hôtels, l’hôpital, etc.

«    Nous travaillions entre 7 heures et 8 heures par jour. Sans salaire bien sûr (…). Il n’y avait que le dimanche que l’on était un peu libre, ou encore pendant une heure de récréation chaque jour, mais il y avait toujours quelque chose à faire, éplucher des légumes, écosser des haricots ou faire la vaisselle. »

Annick n’a reçu aucune visite familiale pendant son séjour, elle passait ses vacances dans l’établissement.

« Les bonnes sœurs n’avaient rien d’humain, elles nous faisaient souffrir continuellement. Nous n’étions pour beaucoup que des gamines, mais nous étions leurs esclaves (…) Leurs insultes étaient répétées : vicieuses, voleuses, fainéantes, menteuses, incapables… »

Des brimades et des sanctions

Elle se souvient d’une vie quotidienne faite de brimades et de sanctions souvent injustifiées. « L’hiver, on se lavait avec de l’eau gelée dans les lavabos. Quand on se levait, elles avaient le plaisir sadique de nous faire refaire le lit deux ou trois fois. Elles jetaient par terre les matelas, draps et couvertures. Celles qui faisaient pipi au lit devaient prendre leur drap et courir dans la cour, les bras levés en l’air pour les faire sécher ».

Il lui revient en tête cette scène : « Un jour on m’a servi une assiette de pois chiche, que je déteste. Je ne voulais pas le manger. On m’a remis mon assiette pendant trois jours consécutifs, mais je n’ai pas cédé. J’ai fini au cachot pendant 15 jours au pain sec. »

« Je suis restée handicapée »

L’octogénaire n’a jamais pu tirer un trait sur cette partie de sa vie. Parce qu’elle a été marquée dans sa chair : « Par leur faute, je suis restée handicapée du pied gauche. Sans demander mon avis, les bonnes sœurs m’ont emmenée à l’hôpital à 18 ans pour me faire enlever le sixième doigt aux deux pieds et aux deux mains que j’avais depuis ma naissance. Elles ont accepté sans scrupule que l’on me coupe les sixième et cinquième doigts du pied gauche. Mes pieds sont restés aussi larges qu’auparavant, cela m’a laissé un handicap pour me chausser ».

La Picarde, désormais installée en Saône-et-Loire, a demandé son dossier à la Congrégation. C’est ainsi qu’elle s’est aperçue de l’impensable : « J’ai toujours cru que mon père biologique m’avait abandonnée. Durant mon séjour à Amiens, je n’avais jamais reçu de courriers de lui. Ce n’est qu’à 79 ans que j’ai découvert qu’il m’avait envoyé des lettres. Mais les bonnes sœurs ne me les avaient jamais remises, elles ne m’en avaient jamais informée ». Annick dit qu’elle « n’a rien contre l’Église », mais elle a de la rancœur : « Je demande le pardon public de ces bonnes sœurs. Elles nous le doivent ».

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